L’UX vise à comprendre comment les gens se rapportent à un produit ou service, et quelles expériences ils en font, dans différents contextes.
L’UX s’intéresse à la temporalité des expériences mais souvent en mettant l’accent sur le moment présent. Ici, je cherche à prouver que les expériences, avant et après, sont tout aussi importantes pour analyser, comprendre et améliorer l’expérience utilisateur dans sa globalité.
L’anticipation, l’attente, le système de récompense et le souvenir, seront donc au cœur de ce sujet puisque l’UX n’est pas seulement «satisfaire un utilisateur à un instant T» mais il englobe trois temporalités, tout aussi importantes les unes que les autres.
C’est l’UX au fil du temps : L’avant usage, pendant et après l’usage.
Quand nous parlons d’UX anticipée, nous parlons d’une expérience indirecte qui a lieu avant un instant T pour nommer la première rencontre qu’ont les utilisateurs avec un produit ou service, grâce à des attentes formées à partir de l’expérience existante sur des procédés que vont utiliser les marques comme : les publicités, les présentations, les démonstrations ou même, l’opinion des autres.
Cette expérience indirecte s’étend même après l’usage. Par exemple, à travers une réflexion sur l’usage précédent, ou à travers des changements dans l’appréciation de l’usage par les gens.
Comme l’indiquent Virpi Roto, Effie Law, Arnold Vermeeren, Jettie Hoonhout dans leur article Livre blanc sur l’expérience utilisateur, nous pouvons parler de trois sortes d’UX anticipés :
L’UX momentanée, qui fait référence à un changement de ressenti au cours de l’interaction.
L’UX épisodique, qui se réfère à l’appréciation d’un épisode d’utilisation spécifique.
L’UX cumulative, qui évalue un système dans son ensemble, après que l’utilisateur l’ai utilisé pendant un certain temps (voir figure 1 et figure 2).
L’UX anticipée se rapporte autant à la période qui précède la première utilisation qu’aux 3 autres périodes indiquées puisque l’utilisateur est capable de s’imaginer (donc d’anticiper) un moment spécifique pendant l’interaction, un épisode d’utilisation, ou l’avenir après l’utilisation de ce système.
L’UX momentanée va donner des informations sur l’aspect émotionnel d’une personne devant une interface par exemple.
L’UX cumulative quant à elle donnera des réponses sur l’impact qu’ont eu les expériences momentanées sur une période plus longue après utilisation.
À savoir par exemple qu’une réaction négative pendant l’utilisation peut diminuer après des résultats positifs, et la réaction sur l’expérience peut donc être mémorisée différemment.
Ces 3 sortes d’expériences anticipées peuvent être affectées par trois facteurs
Ces facteurs réunis vont naturellement venir influencer l’expérience utilisateur et la manière dont elle sera anticipée.
Avant l’usage, l’expérience est donc considérée comme l’UX anticipée, on parle également d’UX pré-produit.
L’UX pré-produit c’est comment les utilisateurs vont anticiper l’avant produit, avant l’utilisation réelle du produit, comme le soutiennent Lindgren et ses collègues dans l’étude Experiencing Expectations : Extending the Concept of UX Anticipation (que je vous invite fortement à lire car très enrichissante).
Pour résumer, l’étude réalisée porte sur les voitures Tesla, l’enjeu était de comprendre l’attente et l’anticipation de l’expérience des futurs utilisateurs de cette voiture, avant que le produit soit disponible. L’anticipation doit considérer non seulement la façon dont le produit est imaginé avant d’être utilisé, mais aussi l’expérience de l’engagement avec le produit avant qu’il ne soit utilisé.
Pour conclure, les utilisateurs se nourrissent donc les uns des autres en partageant leurs expériences.
Passer à l’acte d’achat est une manière pour eux de matérialiser enfin leur imagination.
Il intervient également dans ce processus d’anticipation des conséquences proches des effets placebo et nocebo : nous pouvons anticiper l’expérience d’un produit par simple auto-suggestion. C’est bien l’attente positive qui est le moteur de cet effet placebo.
C’est pourquoi il est important de prendre en compte l’expérience anticipée.
L’attente positive peut être provoquée par les liens sociaux, des échanges positifs avec des proches, sur les réseaux… Cela va susciter une forme d’influence qui va favoriser l’anticipation et donc une attente surestimée.
À l’inverse, l’autosuggestion liée à une mauvaise expérience passée de l’utilisateur lui-même ou de d’un de ses proches, va venir impacter l’anticipation et donc provoquer une attente sous-estimée. L’expérience risque donc d’être mauvaise ou même, de ne pas exister. Dans ce cas, on parle d’effet nocebo.
L’anticipation de l’utilisateur est grandement influencée par les croyances et les attentes.
Il existe des solutions pour prendre en compte l’anticipation. C’est le cas par exemple de Triptech. Triptech, créé en 2019, sert à mesurer la désirabilité et l’utilité perçues des idées de produits. Ce sont les équipes Google qui ont testé cette méthode de recherche UX.
L’objectif de cette recherche était d’identifier les domaines qui méritent une exploration plus approfondie. Celle-ci se déroule avant la sortie d’un produit, service, ou concept.
La recherche se déploie à l’aide de groupes de discussion avec des utilisateurs cibles et des scénarisations types story-board, brises glace (Article Triptech : A Method for Evaluating Early Design Concepts).
En fonction des expériences, les utilisateurs doivent soit :
Les résultats de cette méthode vont donc permettre d’identifier les concepts qui « résonnent avec les utilisateurs » mais aussi de « déprioriser les solutions qui ne répondent pas aux besoins du public cible ».
L’anticipation peut donc être mesurée, ce qui va permettre d’éviter un investissement coûteux et un travail inutile pour les équipes. Être sûr de ne pas se tromper en répondant à des besoins attendus par les utilisateurs.
L’expérience réelle sera parfois biaisée par l’anticipation de l’utilisateur comme nous avons pu le voir plus haut. Dans le doute de savoir si l’expérience sera attendue positivement ou non, nous devons prendre en compte la charge de travail et les motivations de l’utilisateur.
La charge de travail, c’est quoi ? Elle est le résultat de la mise en relation entre les exigences d’une tâche à un instant T (contraintes) et les conséquences de celle-ci (astreintes) se répercutant sur l’expérience en elle-même.
Bastien et Scapin (deux chercheurs en psychologie ergonomique et en ergonomie cognitive) ont d’ailleurs fait de la charge de travail un critère ergonomique qui consiste à garantir la simplicité d’une interface et la pertinence des fonctionnalités tout en limitant le travail de lecture ou de compréhension par l’utilisateur.
Un outil comme l’indice de charge de tâche de Nasa TLX permet de l’a mesurer.
Cet outil permet d’évaluer 6 types de demandes au cours de la tâche :
Le résultat permet d’obtenir une note allant de 0 à 100. Plus le chiffre est haut, plus la charge est élevée et plus l’expérience risque d’être pénible pour l’utilisateur. Il est donc primordial de proposer des parcours simplifiés, intuitifs, qui n’exigent pas trop d’efforts de la part de l’utilisateur.
Il faut également prendre en compte que par habitude d’utilisation d’un produit ou d’une action quelconque, l’utilisateur va se familiariser avec et donc, la charge de travail sera automatiquement allégée. C’est ce qu’on appelle la mémoire procédurale : ne plus réfléchir pour faire la chose (sujet abordé partie IV, point 3. La mémoire).
Nos actions et comportements se déterminent souvent par l’obtention d’une récompense (se détermine par désir, action et satisfaction) ou dans l’objectif d’éviter une punition (se détermine par une réponse de lutte ou de fuite) on appelle cela la motivation extrinsèque. Le circuit de récompense favorise nos besoins liés à nos plaisirs et nos désirs. Il est composé de sérotonine et de dopamine.
La récompense, pour l’utilisateur, peut être un tas de choses. Un objectif à atteindre, une compétence acquise, une progression, une satisfaction personnelle, ce qu’on appelle ici la motivation intrinsèque.
Chaque individu ne partage pas les mêmes motivations ni les mêmes émotions. Pourtant, ce sont bien ces deux notions qui sont le moteur de l’UX Design.
L’utilisateur aura toujours une attente et la nécessité de combler un besoin.
Au fur et à mesure de l’utilisation d’un produit, la perception de ses qualités va changer parce qu’on s’y habitue, alors l’enthousiasme du départ devient moindre.
En 2008, Hassenzahl a dit dans User Experience Over Time (voir figure 3)
« le temps semble avoir un impact sur l’importance que nous accordons aux différentes qualités de l’expérience avec les produits interactifs. Par exemple, malgré l’importance cruciale de la convivialité dans l’acceptation initiale d’un produit, les aspects de propriété du produit (et non d’utilisation) sont encore plus cruciaux pour qu’un utilisateur résonne avec un produit et le valorise à long terme »
La manière dont l’utilisateur considère qu’un produit évolue au fil du temps, la stimulation du départ s’éteint petit à petit.
L’utilisabilité (pragmatique – utilisation, compréhension) et la beauté (hédonique – bien-être psychologique de l’utilisateur) du produit perdent alors de leur valeur après quelques semaines d’utilisation. L’aspect « nouveau » est ce qui renforce ces valeurs au départ.
Il y a deux types de perceptions produits.
La perception pragmatique : ce sont des produits utiles, compréhensibles, contrôlables, qui vont à l’essentiel et qui sont souvent liés au comportement. C’est un produit remplaçable, qui perd facilement de la valeur, par exemple : acheter une petite voiture et acheter un bel appartement finalement à côté du travail, résultat ? La voiture perd de sa valeur.
À l’inverse, il y a la perception hédonique des produits, qui vont prendre un compte le bien-être psychologique de l’utilisateur. Ce sont des produits liés au soi, aux souvenirs, aux idéaux et aux relations.
La fonction hédonique comporte 3 sous-catégories :
Le produit aux fonctions hédoniques fait appel aux relations, souvenirs, développement. Le lien entre produit et utilisateur est plus fort.
Cela souligne donc l’importance des qualités hédoniques : par l’épanouissement des besoins psychologiques, un produit aux propriétés hédoniques va produire du plaisir.
Quant à la perception pragmatique, par l’atteinte des objectifs, va produire de la satisfaction.
La réunion des perceptions pragmatiques et hédoniques forment à elles deux, satisfaction et plaisir (voir figure 4).
La satisfaction est le résultat des conséquences émotionnelles, plaisir et attrait : le fait d’être heureux confirme les attentes du produit et plus il sera attendu, plus le plaisir sera fort.
Par exemple, utiliser un produit pour une action qu’il offre = être satisfait.
Mais utiliser ce produit qui offre un vrai « + » inattendu = être heureux + surpris + satisfait + désiré + agréable.
La mémoire est en premier lieu la capacité que les êtres vivants ont à restituer un souvenir, une information.
Pour garantir le souvenir et la bonne expérience d’un produit, d’un service, ou d’un concept, il faut savoir rester dans la mémoire de l’utilisateur.
L’idéal et le vœu pour n’importe quel prescripteur seraient de persister dans la mémoire à long terme.
Pourquoi ? Parce que, se remémorer une expérience c’est faire appel celle-ci.
La mémoire à long terme englobe, entre autres, plusieurs types de mémoires :
Les mémoires émotionnelles et épisodiques sont généralement celles qui reviennent le plus souvent lorsqu’il s’agit de se rappeler une expérience vécue. En effet, en faisant l’exercice de se remémorer une expérience positive, qui nous a convenu, nous pouvons constater que nous avons tendance à facilement retenir où est-ce que cela s’est passé, à quel endroit nous étions à ce moment-là, parfois même les émotions ressenties et sensations à l’instant T (excitation, jouissance, effet de surprise et de satisfaction).
La mémoire sémantique est une mémoire de logique, de connaissances générales à laquelle l’utilisateur va faire appel pour réaliser une tâche au cours de l’expérience. Elle inclut aussi les idées et concepts qui peuvent découler de cette expérience.
La mémoire procédurale incarne les habitudes. Par exemple, nous savons que pour fermer une pop-up la croix se trouve en haut à droite de l’encart. Parce qu’elle se trouve toujours ici, et c’est à force d’usage et part logique que l’automatisme se crée et nous n’avons plus besoin de réfléchir pour réaliser cette action.
En résumé, l’UX englobe tous les aspects de l’interaction avec un produit.
Les expériences réelles avec un produit peuvent différer selon l’attente et l’anticipation de l’utilisateur.
Les produits servent à stimuler le développement personnel, à renvoyer une image, provoquer des souvenirs. Ils sont soit pragmatiques (générés en interne ou par l’extérieur) soit hédoniques (liés au «soi» ou au bien-être et à la psychologie de l’utilisateur).
L’acquisition ou le résultat de ces produits va donc provoquer de l’émotion chez l’utilisateur : satisfaction (but atteint, objectifs comportementaux) et plaisir (lié à la surprise, l’inattendu).
Le fait d’anticiper et d’analyser l’expérience utilisateur va permettre aux concepteurs de produire des produits plus qualitatifs, en répondant aux attentes et ainsi provoquer de l’émotion chez l’utilisateur. Et c’est en procurant de l’émotion, de la satisfaction que l’UX sera agréable et donc retenue, mémorisée de manière positive.